- BRÉSIL - Le Brésil contemporain
- BRÉSIL - Le Brésil contemporainAvec la Constitution démocratique promulguée en 1988 et, pour la première fois depuis 1960, l’élection au suffrage universel direct de Fernando Collor de Mello à la présidence de la République en 1989, le Brésil met formellement fin au processus de transition vers la démocratie, amorcée à la fin du régime autoritaire (1964-1985). Cependant, l’ampleur de la crise économique et sociale, léguée par la dictature militaire, gêne la normalisation politique.Alors que le produit intérieur brut s’est accru au rythme annuel de 8,5 p. 100 dans les années 1970-1980, ce taux est tombé à 2,5 p. 100 dans les années 1980-1990, et le revenu par habitant n’a pratiquement pas augmenté au cours de cette période. Depuis les années 1960, l’inégalité des revenus s’accentue en raison de l’élargissement de l’éventail des rémunérations et de la proportion élevée des bas salaires. En conséquence, sur une population active de 65 800 000 individus, dénombrée en 1989, les 10 p. 100 les plus pauvres recevaient à peine 0,7 p. 100 de la totalité des salaires et traitements, tandis que les plus riches, qui représentent 1 p. 100 de la population (658 000 personnes), s’en octroyaient 15,9 p. 100. Les recensements décennaux font apparaître une dérive de la population pauvre et misérable: alors qu’au cours des années 1970 ce sont les pauvres ruraux qui avaient gagné les régions urbaines, dans les années 1980 ce sont les centres urbains qui furent désertés par les déshérités qui migrèrent dans la périphérie des grandes villes où se concentre désormais la majorité des pauvres. De 1980 à l’an 2000, les villes brésiliennes auront intégré un nouveau contingent de 50 millions d’habitants. Étant donné le rythme lent de création d’emplois urbains – conséquence du déclin des investissements publics et privés –, on estime que 20 millions d’habitants des villes seront sous-employés ou au chômage en l’an 2000. Parmi les économies urbanisées et industrialisées, celle du Brésil apparaîtra alors comme une des plus pauvres du monde. Signe flagrant des difficultés économiques et sociales, pour la première fois dans l’histoire du pays, un flux d’émigration se fait jour, entraînant des jeunes chômeurs et des cadres vers les pays développés. Ce mouvement est particulièrement net vers les États-Unis et le Japon où travaillent déjà deux cent mille Brésiliens d’origine japonaise. Dans ce contexte difficile, les nouvelles institutions démocratiques sont à l’épreuve. Déjà, on prévoit pour 1993 un plébiscite destiné à modifier le présidentialisme et à introduire un système de gouvernement semi-présidentialiste, proche des modèles français et portugais.1. Une économie en croissance rapideAu Brésil, le produit intérieur brut, c’est-à-dire la valeur totale de la production intérieure de biens et de services, se chiffre, en 1980, à 237 milliards de dollars, ce qui en fait le plus important marché du Tiers Monde. La production industrielle brésilienne, avec ses 15 millions de tonnes d’acier et plus d’un million de voitures automobiles, se place parmi les dix plus importantes du monde. Le taux de croissance moyen annuel du P.I.B. a été de 7 p. 100 dans les trente dernières années. Cependant, l’extrême concentration sociale du revenu et des inégalités régionales croissantes restent préoccupantes (tabl. 1, 2, 3, 4 et 5).Les effets inattendus de la crise de 1929En réduisant de moitié et pour longtemps les sources de devises, la dépression économique des années trente a obligé l’économie brésilienne à poursuivre son développement dans le cadre du marché intérieur. La transition fut, dans une certaine mesure, facilitée par la politique de soutien au café pratiquée pendant toute la durée de cette crise par le gouvernement brésilien. Le café, en effet, représentait les trois quarts des exportations brésiliennes; sa culture s’étale sur plusieurs années; afin d’éviter une crise plus grave dans un secteur dont l’importance politique était décisive, le gouvernement décida de garantir des prix minimaux aux agriculteurs et d’acheter d’importants excédents de production, bien qu’il fût obligé d’en détruire une grande partie. Au moment où la crise fut le plus aiguë, la valeur de l’augmentation des stocks de café a représenté jusqu’à 8 p. 100 du P.I.B., et le volume total de café détruit au cours d’une décennie s’est élevé à 80 millions de sacs de 60 kg.L’effort accompli pour empêcher la désorganisation totale du secteur économique eut des effets compensateurs en maintenant à un niveau relativement élevé le revenu monétaire de la population. Bien qu’elle ait créé une pression inflationniste appelée à marquer le développement brésilien, cette politique a permis au marché intérieur d’évoluer favorablement au moment même de la grande dépression des marchés extérieurs. C’est alors que s’est amorcé, pour la première fois au Brésil, un développement fondé sur la demande intérieure; celui-ci a pris la forme d’un processus d’industrialisation destiné à produire des articles dont l’importation avait été réduite en raison de la crise du commerce extérieur. Cependant, s’il a été possible au gouvernement de racheter les stocks de café sans provoquer une inflation aiguë, ce qui aurait désorganisé toute l’activité économique, c’est parce que le Brésil avait déjà connu une première phase d’industrialisation, fruit de l’expansion du commerce extérieur et de l’urbanisation.Axée sur la production de biens de consommation courante (textiles, denrées alimentaires), cette industrialisation n’était en rien diversifiée. Lors de la forte élévation des prix en valeur relative des produits manufacturés importés, qui a suivi la crise de 1929, les industries existantes durent, pour répondre à la demande intérieure, utiliser deux et trois équipes par jour. Cela fut possible grâce à l’abondance de certaines matières premières (le coton par exemple) qu’il était difficile d’écouler sur les marchés extérieurs, et aussi du fait de l’élasticité de l’offre de main-d’œuvre qui caractérise les économies sous-développées. La hausse rapide des marges bénéficiaires dans l’industrie permit d’accroître les investissements au moment même où le secteur traditionnellement le plus rentable de l’économie, celui de l’exportation, connaissait une forte dépression. Grâce à ces circonstances, il y a eu un transfert de capitaux et de l’esprit d’entreprise, qui se sont portés de l’activité primaire-exportatrice vers les activités liées au marché intérieur, en particulier l’industrie. La rapide urbanisation, dont la croissance de la ville de São Paulo est l’exemple le plus remarquable, s’inscrit dans le cadre des modifications profondes qui affectaient l’économie brésilienne.Les effets de l’industrialisationBalance des paiementsL’industrialisation allait poser de nouveaux problèmes à l’économie brésilienne: elle se produisait alors que le commerce extérieur était en crise. L’économie dut s’adapter à un niveau d’importation relativement plus faible: les importations, qui, dans les années vingt, correspondaient à presque 20 p. 100 du revenu national, n’en représentaient pas 10 p. 100 dans les années cinquante. L’orientation nouvelle des investissements eut deux effets significatifs: elle entraîna, d’une part, une augmentation de la demande qu’elle prétendait satisfaire, puisqu’elle provoquait l’élévation du niveau du revenu global; elle détermina, d’autre part, une réduction de la capacité d’importation des produits finis en provoquant des demandes d’importation portant sur des produits intermédiaires: matières premières, combustibles, biens d’équipement. Ainsi, la politique d’industrialisation, dont le but était de substituer la production locale aux importations, exerçait une nouvelle pression sur la balance des paiements. À mesure que cette industrialisation «substitutive d’importations» avançait, les équipements à installer devenaient plus complexes et plus chers, ce qui ne pouvait manquer d’avoir des répercussions négatives sur la balance des paiements. Les sérieuses difficultés qui en ont résulté ont empêché la stabilisation de l’économie brésilienne, caractérisée après la Seconde Guerre mondiale par une tendance à la hausse des prix et à l’endettement extérieur. L’industrialisation allant de pair avec le déclin de la part des importations dans l’offre globale, la production industrielle dut considérablement se diversifier. La contribution des importations à l’offre totale de produits industriels est passée de 19 p. 100 en 1949 à 5,1 p. 100 en 1965. Ce phénomène s’est manifesté dans tous les secteurs de l’activité industrielle (tabl. 6).Les phases d’accélération de la croissanceAprès la guerre, la croissance économique brésilienne a connu deux phases d’accélération et deux de perte de vitesse. La première phase d’accélération dure jusqu’en 1961: c’est la période Vargas-Kubitschek, pendant laquelle se met en place la grande industrie sidérurgique; avec la construction de Brasília, de nouveaux espaces sont ouverts à l’action de l’homme. La seconde, celle du «miracle» va de 1968 à 1973. C’est la période de la forte expansion de l’industrie automobile et de la formation d’un marché de biens de consommation durables.L’industrialisation rapide des années cinquante est due à la substitution d’importations et à la diversification du secteur industriel, qui suscite une très forte demande. C’est en fait l’industrie des biens de production qui provoque l’accélération de la croissance industrielle: entre 1956 et 1961, le taux moyen annuel de croissance de l’industrie des biens de consommation non durables était de 7,8 p. 100, celui de la métallurgie de 9,7 p. 100, celui de la mécanique de 10,5 p. 100, celui de la chimie de 14,4 p. 100, celui de la production du matériel électrique et de communication de 24,4 p. 100, celui du matériel de transport de 48,4 p. 100. Cette croissance relative des industries de biens de production a permis d’augmenter le taux d’investissement, en dépit des fortes limitations imposées par un niveau d’importation qui, à compter de 1955 environ, demeura pratiquement stationnaire.Détérioration des termes de l’échangePendant longtemps, les transformations structurelles de l’économie brésilienne et son développement industriel considérable n’ont pas eu de répercussion sur la composition de ses exportations. Le café représente encore à la fin des années soixante, comme c’était le cas avant la guerre, plus de 40 p. 100 de la valeur des exportations; d’autres produits primaires, tels le coton, le sucre, le cacao, le minerai de fer, en constituent presque 50 p. 100; les produits manufacturés, dont les exportations sont pourtant passées de 22 millions de dollars en 1955 à 64 millions en 1960 et 110 millions en 1965, n’en représentent que 6,7 p. 100. Non seulement le Brésil a tardé à intégrer ses exportations dans le secteur dynamique de son activité économique, mais il a dû faire face à un déclin persistant du prix des produits non manufacturés dont il est traditionnellement exportateur. Ainsi la tonne de café; sa valeur d’exportation était de 1 020 dollars en 1955, contre 796 dollars en 1964; dans le même temps, le prix à l’exportation de la tonne de coton a baissé de 746 à 497 dollars, celui de la tonne de cacao de 748 à 505, celui de la tonne de minerai de fer de 12 à 8, et celui du minerai de manganèse de 30 à 24. Durant la période 1955-1965, le volume des exportations a augmenté, mais cet accroissement a été en grande partie annulé par une dégradation de 20 p. 100 des termes de l’échange (tabl. 7).Ce retard du secteur industriel brésilien à s’intégrer au commerce extérieur est d’autant plus malaisé à expliquer que sa croissance a été le résultat d’une considérable modernisation des industries traditionnelles et de l’implantation de nouvelles industries à technologie avancée. Dans l’ensemble, entre 1955 et 1965, la productivité a augmenté de 5,2 p. 100 par an, alors que l’emploi baissait de 1,7 p. 100. Dans l’industrie textile, l’emploi diminuait de 2,1 p. 100 et la productivité s’accroissant de 4,5 p. 100. Comme le taux du salaire réel restait stationnaire, il semble évident que la capacité concurrentielle de l’industrie avait beaucoup augmenté. L’expansion des exportations industrielles des années 1970 est le fruit d’une politique agressive de subventions qui pèse lourdement sur le budget de l’État.Aggravation des déséquilibres régionauxL’industrialisation, facteur de développement du Brésil de l’après-guerre, a été moins le résultat d’une politique délibérée que la conséquence indirecte de mesures prises occasionnellement afin de défendre les structures traditionnelles. C’est en achetant le café en grandes quantités pour le stocker et le détruire que le gouvernement a créé les conditions de demande intérieure et de protection contre l’extérieur qui ont rendu possible le grand essor industriel amorcé dans les années trente; et c’est cette politique de défense du prix du café sur le marché international qui l’a conduit, dans les années cinquante, à adopter des mesures de discrimination entre importations «essentielles» et «non essentielles», qui ont finalement favorisé le processus d’industrialisation. Le fait que l’industrialisation ait été le sous-produit des tensions du secteur exportateur traditionnel a eu diverses conséquences négatives. C’est ainsi que l’effort de conversion nécessaire pour adapter aux exigences de l’industrialisation l’infrastructure d’une économie exportatrice de produits primaires n’a pu être réalisé en temps opportun. Un premier plan d’investissements d’infrastructure (le plan Salte), élaboré immédiatement après la guerre, a échoué faute de capitaux. On a dû attendre 1955 pour que soit créée une banque de développement qui finançât la reconstruction de l’infrastructure de transport et d’énergie. C’est seulement à la fin des années cinquante qu’on s’est occupé des déséquilibres régionaux, qui, fruit d’un protectionnisme indifférencié dont les régions pauvres font les frais, se sont beaucoup aggravés. La conséquence la plus lourde a certainement été l’accroissement de la concentration du revenu. L’élasticité de l’offre de main-d’œuvre, les subsides cambiaires et fiscaux à l’investissement en capital fixe y concouraient. En l’absence d’une politique fiscale adéquate, cette concentration du revenu s’est traduite, chez les classes à revenu élevé, par une forte propension à consommer; les dépenses de consommation de ces classes augmentèrent très rapidement, alors que les conditions de vie de la masse de la population restaient les mêmes.La seconde phase d’accélération de la croissance a été suivie d’un considérable élargissement des marchés de biens de consommation durables. En fait, le taux moyen annuel de croissance des industries de biens de consommation durables a été de 24 p. 100 pendant la période 1968-1973. Une telle dislocation du profil de la demande de produits finis s’inscrit dans un processus de forte concentration du revenu et d’endettement extérieur croissant. Il suffit de rappeler que la part des 5 p. 100 les plus riches de la population brésilienne, dans le revenu national, est passée de 28,3 p. 100, en 1960, à 34,1 p. 100 en 1970, alors que celle des 50 p. 100 les plus pauvres descend de 17,4 p. 100 à 14,9 p. 100 (tabl. 8). De même, la dette extérieure, qui était de 3,3 milliards de dollars, en 1967, dépasse les 57 milliards en 1980 (tabl. 9). Cette croissance – axée sur la formation d’un marché à demande sophistiquée – intéressait au premier chef les entreprises transnationales, qui contrôlent l’essentiel de l’industrie des biens de consommation durables au Brésil.Bouleversement socio-politiqueLe processus d’industrialisation, quelles qu’aient été ses caractéristiques, a, en tout cas, modifié la structure sociale du Brésil, ce qui n’a pas manqué de se répercuter sur le plan politique. En 1930 encore, la structure sociale du Brésil n’était pas très différente de ce qu’elle était un siècle plus tôt, à la fin de l’époque coloniale. L’économie du pays était toujours fondée sur l’exportation de quelques denrées tropicales (café principalement), produites dans de vastes plantations, et l’État continuait à tirer du commerce extérieur d’importantes ressources. Les quatre cinquièmes de la population, vivant dans de grandes fazendas, étaient ainsi soumis à l’autorité directe des grands propriétaires terriens. Seule une partie infime, concentrée dans les villes, participait à la vie politique à côté de l’oligarchie terrienne. Les élections, qui se faisaient au scrutin public, n’avaient guère qu’une valeur symbolique. Les administrations, lors même qu’elles dépendaient du gouvernement central, restaient sous le contrôle étroit des grands seigneurs régionaux. Les gouvernements des États étaient les principaux porte-parole des intérêts dominants et le choix du président de la République dépendait d’eux. Du reste, ceux qui se trouvaient au pouvoir disposaient de tous les moyens de s’y maintenir.L’urbanisation rapide qui s’est produite pendant les quatre dernières décennies avec l’industrialisation et la croissance relative du secteur public a bouleversé le fondement du système politique traditionnel. Compte tenu du taux d’alphabétisation des zones urbaines, la majorité aux élections a fini par échoir à la fraction de l’électorat sur laquelle l’oligarchie traditionnelle exerçait un contrôle beaucoup moins efficace. Perceptible à partir de 1946, avec la restauration de la démocratie représentative, ce changement s’accentue jusqu’au putsch militaire de 1964. De 1946 à 1964, le pouvoir exécutif appartenait à des éléments qui s’appuyaient sur un électorat relativement indépendant et conscient de ses intérêts. Cependant, cette nouvelle source de pouvoir politique n’a jamais été complètement reconnue par la classe dominante traditionnelle, d’où ces tensions aiguës dont les manifestations extérieures les plus spectaculaires furent le suicide de Getúlio Vargas (1954), la démission de Jãnio Quadros (1961) et la déposition de João Goulart par la force (1964).L’instabilité fondamentale de la vie politique brésilienne de ces dernières décennies s’explique par les modifications sociales déjà signalées. Face à une classe dirigeante anachronique, les groupes industriels n’exerçaient sur les centres de décision qu’une faible influence. En effet, l’industrie a longtemps été tributaire du secteur exportateur pour les devises nécessaires au paiement des produits intermédiaires et des équipements importés, et de l’État pour le financement de leurs investissements. De plus, le comportement même de la classe ouvrière privait la bourgeoisie industrielle d’une identité propre. À la différence de l’Europe du XIXe siècle, au Brésil le mouvement d’urbanisation n’a pas été lié à une transformation accélérée de la structure professionnelle, accompagnée d’un accroissement rapide du nombre des ouvriers de l’industrie; il s’est produit par la formation d’une masse hétérogène. L’industrialisation n’a pas entraîné la désorganisation d’un artisanat séculaire. L’ouvrier brésilien de la première génération n’a pas eu conscience d’avoir connu un processus de dégradation sociale. Venu d’un milieu rural très arriéré, il a eu, dès le début, l’impression d’atteindre le premier échelon de la classe moyenne. De là sa faible conscience de classe.Le secteur de la population urbaine dont la croissance a été le plus rapide, surtout dans les villes moyennes et grandes, est constitué par des personnes sous-employées qui trouvent occasionnellement du travail non qualifié, dans les travaux publics par exemple. Le niveau de vie de cette population est notablement inférieur à celui qui correspond au salaire minimum légal défini pour les zones urbaines. On peut difficilement s’expliquer l’afflux régulier de ce type de population vers les villes sans tenir compte des caractéristiques de la structure agraire du pays.À l’exception de certaines régions, l’agriculture brésilienne pratique des techniques rudimentaires, ses prix de revient tendent à augmenter à mesure que s’épuise la fertilité naturelle des sols et à proportion des distances qui séparent les régions agricoles des principaux centres de consommation. D’après le recensement de 1975, les minifundia , dont la surface moyenne était de 3,45 ha, correspondaient à 52 p. 100 du nombre des établissements agricoles, bien que leur surface ne représentât que 2,7 p. 100 de la surface totale agricole. Les moyennes et grandes exploitations ne mettent en valeur qu’une fraction des terres qu’elles contrôlent, tandis qu’une grande partie de la population rurale s’entasse dans des exploitations minuscules. En comparant le recensement de 1950 et celui de 1975, on constate un déclin de 25 p. 100 dans la surface moyenne des minifundia , alors que leur proportion dans le total des exploitations passait de 34 p. 100 à 52 p. 100. On comprendra ainsi facilement que le niveau de vie d’une grande partie de la population rurale ne s’améliore pas et que celle-ci recherche d’autres occupations, de quelque nature qu’elles soient.Ce bouleversement des fondements sociaux, qui oppose à la classe dirigeante traditionnelle une masse urbaine hétérogène, ne pouvait que conduire la politique brésilienne à une instabilité croissante, qui favorisa l’intervention militaire de mars 1964. Le gouvernement militaire n’ayant touché ni à la structure agraire ni au cadre institutionnel qui conditionnent la répartition très inégalitaire du revenu, les données générales du problème restent inchangées. La croissance économique de la période du «miracle», en ajoutant à ces problèmes un considérable endettement extérieur et une concentration plus brutale du revenu, n’a pu que rendre encore plus difficile l’évolution vers des formes sociales plus stables. Le Brésil reste le cas exemplaire d’un pays où l’on a sacrifié le développement à la croissance.2. La longue route vers la consolidation démocratiqueUne longue tradition parlementaire engendra au Brésil un tissu politique original. Esquissée au XIXe siècle, établie par la Constitution de 1891 et confirmée depuis par d’autres textes constitutionnels, la décentralisation fédéraliste active des réseaux de pouvoirs présents dans les vingt-sept États et les cinq mille municipes que compte actuellement la fédération. En raison du caractère obligatoire du vote, de l’impossibilité légale de réélection aux postes de maires, de gouverneurs et de président de la République, ainsi que de l’interdiction du cumul de mandats, le pays est régulièrement mobilisé par des consultations. Malgré la forte répression politique, les élections pour le Congrès, les assemblées des États, la majorité des maires et des conseillers municipaux (vereadores ) se sont poursuivies, tant bien que mal, pendant la dictature militaire (1964-1985). De ce point de vue, les mécanismes du pouvoir politique n’ont subi que fort peu d’interruptions au cours des cent soixante-dix années de l’histoire nationale.Il existe donc un jeu politique diffus – une forme structurelle de «politique politicienne» – qui génère une couche de politiciens professionnels et imprime une dynamique propre aux enjeux électoraux. Dans ce contexte, l’élection présidentielle est souvent apparue comme une projection, à l’échelle nationale, des accords qui façonnaient les élections régionales. Tel fut le cas des scrutins présidentiels ayant lieu sous la República Velha (1891-1930). En dépit des mutations de la Seconde Guerre mondiale, quand le pays s’industrialisa et que s’accentua le mouvement d’urbanisation, l’élection de Kubitschek à la présidence en 1955 relevait de ce même schéma. Tout autre fut la situation lorsque les élections nationales, mettant en vedette des personnalités charismatiques, donnèrent lieu à des mobilisations populistes échappant aux ententes interrégionales et aux accords entre les partis traditionnels, comme ce fut le cas lors de l’élection de Vargas en 1950, de celle de Quadros en 1960, du référendum organisé par Goulart en 1963 et, toutes proportions gardées, de l’élection de Collor de Mello en 1989. Le scrutin national suscite alors une vague de fond électorale qui ébranle le Congrès, les partis, les alliances régionales, bref, l’édifice politique du pays. Du coup, l’institution présidentielle apparaît elle-même comme une des causes de la crise brésilienne. Pour parer à ces inconvénients, la Constitution de 1988 a apporté un correctif à l’élection présidentielle en introduisant un second tour dans le cas où aucun des candidats n’obtiendrait la majorité absolue à l’issue du premier. Mis en pratique pour la première fois à l’élection présidentielle de 1989, le système des deux tours, face à l’inexpérience des partis et des électeurs, n’a pas convaincu des courants libéraux qui prônent désormais une réforme constitutionnelle afin de réduire les pouvoirs du président de la République au profit du Congrès.L’autre élément de déstabilisation des institutions découle de l’évolution économique du pays. Des idées répandues en Amérique latine faisaient du développement industriel un corollaire de la démocratie. Là où l’industrie avançait, la démocratie était censée se consolider. Inversement, sans régime démocratique, il ne semblait pas possible de garantir la mobilité sociale et les règles de marché inhérentes au développement industriel. Après le coup d’État de 1964, les faits démontrèrent que l’industrialisation pouvait se poursuivre sous le régime autoritaire. On passa alors d’un déterminisme économique à l’autre, et, pendant un temps, les analystes ont soutenu que l’industrialisation des pays dits périphériques devait conduire à des gouvernements autoritaires. Au départ, on estimait que la démocratie était entravée par l’archaïsme social. On s’est aperçu par la suite que les secteurs modernes pouvaient donner lieu à de nouveaux courants autoritaires. De fait, parallèlement à la suppression des libertés, la dictature a entrepris de renforcer le pouvoir central. Jusqu’alors réglées par des dispositifs constitutionnels, les recettes des États et des municipes furent drainées vers le gouvernement fédéral par les prélèvements arbitraires de la bureaucratie civile et militaire. Au cours des années 1970, l’usage inconsidéré d’emprunts internationaux, de subventions publiques et d’exemptions fiscales aboutit au gonflement de la dette extérieure et à la désorganisation des finances nationales, rendant plus ardue la route vers la démocratie.Vargas et le varguismeUne politique économique tournée vers l’étatisation et le protectionnisme met Vargas, élu à la présidence en 1950, aux prises avec les intérêts liés au capital étranger et même avec les secteurs libéraux. On pouvait en effet craindre que la mobilisation syndicale et nationaliste n’engageât le pays dans un régime bonapartiste, semblable à celui que Vargas avait déjà instauré entre 1930 et 1945. En 1954, l’armée publie un «mémorandum des colonels» où elle s’en prend à Vargas et à son ministre du Travail, João Goulart, accusé de faciliter l’infiltration communiste dans les syndicats. Acculé, Vargas se suicide en août 1954; il laisse une lettre-testament dans laquelle il essaie de justifier sa politique. L’événement suscite une vague d’indignation populaire qui paralyse les manœuvres auxquelles se livrait la droite civile et militaire pour s’emparer du pouvoir. Cette lettre-testament, mettant davantage l’accent sur le nationalisme économique que sur la démocratie politique, apparaîtra néanmoins, pendant un certain temps, comme la charte de ralliement de la gauche brésilienne.L’administration Kubitschek: l’édification de BrasíliaLes élections de 1955 amenèrent à la présidence Juscelino Kubitschek et à la vice-présidence João Goulart, héritier politique de Vargas et nouveau leader des travaillistes. Dès le début de son mandat, le nouveau président déclare: «Le problème brésilien est un problème de croissance [économique] et non pas un problème de stabilité [politique].» Son gouvernement accélère l’industrialisation par la production de biens de consommation durables jusqu’alors importés. Des problèmes cruciaux, tels que la mauvaise distribution de terres, étaient contournés: la croissance était censée porter remède aux distorsions sociales. Le fleuron de cette «modernisation conservatrice» fut la construction de Brasília. Transplantés dans un espace moderne, les centres de décision devaient retrouver une légitimité nouvelle née de l’efficacité administrative incarnée par une architecture et un urbanisme novateurs. Ce fut la grande époque de l’optimisme brésilien au XXe siècle.Les crédits pour la construction de la capitale, mobilisant environ 3 p. 100 du produit national brut pendant les années 1957-1961, n’étaient qu’en partie soumis au contrôle du Congrès. Des pratiques souvent illégales permirent l’exécution de grands travaux. Par des délégations abusives de pouvoir, Kubitschek constitua des «groupes exécutifs» formés de fonctionnaires tout-puissants. Cependant, le pays connut alors des taux annuels de croissance de 10 p. 100 sans que l’ordre constitutionnel en soit altéré. Le salaire minimal, qui est – hier comme aujourd’hui – celui de la grande majorité des travailleurs, atteignit sous Kubitschek son sommet historique. L’euphorie «développementiste», l’alliance avec les travaillistes et la présence d’un officier légaliste, le général Lott, à la tête de l’armée, offraient des gages aussi considérables que factices à cette administration. Mais, pour les Brésiliens, Kubitschek restera le président qui a su assurer la croissance économique dans un régime raisonnablement démocratique.L’administration Quadros: démission et criseÉlu à la présidence en 1960, Jânio Quadros apparaît comme un démagogue accompli, mettant tour à tour les partis politiques au service d’une ambition forcenée. Signe du maintien de l’influence travailliste, João Goulart sera réélu à la vice-présidence. En conflit avec le Congrès dès le début de son mandat, Quadros essaie une fausse sortie de la présidence en août 1961 dans l’espoir d’obtenir les pleins pouvoirs. Ayant fait long feu, la manœuvre putschiste entraîna sa démission effective, plongeant le pays dans une grave crise politique.João GoulartDu compromis à l’affrontementDès l’annonce de la démission de Quadros, la hiérarchie militaire s’oppose à l’accession de Goulart à la présidence. Un mouvement populaire rassemblé par les travaillistes exige, à son tour, la nomination de Goulart à la tête de l’État, conformément à la Constitution. Un compromis boiteux intervient entre les deux camps avec le vote, par le Congrès, d’un amendement constitutionnel installant le semi-présidentialisme. La situation semble se dénouer en janvier 1963, lorsqu’un référendum rétablit le présidentialisme. Très vite, il apparaît que cette clarification n’a fait que précipiter la crise. Dix ans après se recréent les conditions de l’affrontement ajourné en 1954 par le suicide de Vargas. Autour du président travailliste se rassemble le mouvement populaire et nationaliste. En face se regroupent les conservateurs, une partie des libéraux et l’armée. En avril 1964, un coup d’État militaire oblige Goulart à quitter la présidence.Les racines du coup d’ÉtatAu début des années 1960, tandis que la croissance économique s’essouffle, le pays est confronté à de nouveaux problèmes. D’une part, on assiste à l’éclosion de formes inédites d’agitation sociale: la mobilisation paysanne en faveur de la réforme agraire, l’autonomie croissante des syndicats vis-à-vis du corporatisme officiel, la contestation de la hiérarchie militaire par des comités de soldats et de marins. D’autre part, le référendum populaire organisé par Goulart contribua à marginaliser le Congrès, alimentant du même coup la méfiance des libéraux vis-à-vis du gouvernement travailliste. Enfin sont aussi inter venus les changements dans la diplomatie américaine. Pour isoler la révolution cubaine, Washington encouragea un plan de réformes en Amérique latine, connu sous le nom d’Alliance pour le progrès. Après la crise des fusées à Cuba en 1962, cette voie fut abandonnée au profit d’analyses radicales prônées par le Pentagone. Washington préféra alors s’appuyer sur les armées du sous-continent, au détriment des politiciens traditionnels qui garantissaient l’alliance des pays latino-américains avec les États-Unis. Dès lors, les putschistes brésiliens pouvaient compter sur la solidarité officielle américaine. L’appui des États-Unis est allé jusqu’à la constitution d’une force aéronavale américaine prête à intervenir aux côtés des auteurs du coup d’État en cas de résistance légaliste au Brésil en avril 1964.Le régime militaireCooptés parmi la vingtaine de généraux du commandement de l’armée, les présidents militaires successifs, utilisant les pleins pouvoirs, ont périodiquement infléchi la politique du pays.Sous la présidence du maréchal Castelo Branco (1964-1967), les partis politiques furent dissous et remplacés par deux autres formations. L’Alliance rénovatrice nationale (Arena) regroupait les élus ralliés au régime, tandis que le Mouvement démocratique brésilien (M.D.B.) rassemblait une opposition brisée par les arrestations et l’exil de ses leaders.Pendant la présidence du général Costa e Silva (1967-1969), les secteurs avancés du mouvement syndical, les intellectuels, les étudiants et, fait décisif, une partie de l’Église catholique organisèrent des manifestations de masse contre la dictature. Contre ce mouvement, l’acte institutionnel no 5 de 1968 renforça l’autoritarisme, conduisant à la prison, à la clandestinité et à l’exil bon nombre de militants. Ce contexte précipita l’éveil de réseaux qui, à partir de 1969, déclenchèrent des opérations de guérilla. Le virage fut d’autant plus marqué que les thèses favorables à la lutte armée avaient été mises à l’ordre du jour à la conférence de l’O.L.A.S. (Organisation latino-américaine de solidarité), rassemblée à La Havane en 1967. En ce sens, au lieu d’apparaître comme une «réponse» à la guérilla, le durcissement du régime précéda et, dans une certaine mesure, provoqua l’émergence d’organisations clandestines armées. Ces événements renforcèrent le régime dictatorial, qui connut son apogée sous le présidence du général Médici (1969-1974). Ce fut la période du «miracle économique brésilien», pendant laquelle la croissance du pays atteignit des taux annuels proches de 10 p. 100, tandis que la torture et les assassinats politiques devinrent une affaire d’État.1974-1985: la longue transition conservatriceAu début de la présidence du général Geisel (1974-1979), plusieurs problèmes critiques trouvèrent leur dénouement.En premier lieu, la hiérarchie militaire reprit en main l’appareil répressif qui, après avoir écrasé la guérilla, échappait au contrôle du haut commandement. Peu à peu, les tortures et les assassinats de prisonniers politiques diminuèrent. Aussi, la relance de la politique traditionnelle semblait nécessaire pour restaurer la cohésion de l’institution militaire, mise à l’épreuve par l’implication directe des officiers dans la répression politique. Un autre élément favorable à la continuité du régime fut l’amélioration du niveau de vie d’un secteur considérable de la classe moyenne, lequel, grâce aux placements boursiers et immobiliers largement subventionnés par l’État, augmenta ses revenus à l’abri de l’inflation qui frappait la population pauvre. Dès lors, le gouvernement décida d’avoir de nouveau recours aux élections afin d’institutionnaliser le régime.Le tournant électoral de novembre 1974Pourtant, aux élections législatives de novembe 1974, on assista à un raz-de-marée au bénéfice des candidats de l’opposition tolérée, le M.D.B. recueillant 59 p. 100 des voix validées. Saisissant l’occasion offerte, les électeurs exprimèrent leur profonde défiance à l’égard du régime, faisant du M.D.B. un vaste front électoral. Cette opposition régulièrement réitérée par la voie des urnes allait donner à la redémocratisation brésilienne une spécificité face aux transitions politiques observées dans les dictatures latino-américaines ou ibériques. En dépit des chicanes juridiques et de la pression policière, le gouvernement continua de subir des revers lors des consultations électorales suivantes. Aux législatives de 1978, le M.D.B. fut de nouveau vainqueur, malgré la prohibition de la propagande électorale à la radio et à la télévision. L’érosion de la légitimité du régime fut accélérée par l’émergence de mouvements démocratiques.La structuration de la «société civile»À l’encontre d’idées reçues selon lesquelles la société brésilienne paraissait incapable d’engendrer des résistances à l’autoritarisme, il se produisit une puissante mobilisation antidictatoriale. La «fronde» patronale contre l’extension du secteur public fit éclore des divergences au sein du bloc au pouvoir. L’Ordre des avocats et l’Association des journalistes renforcèrent le mouvement en faveur de la légalité constitutionnelle et des droits de l’homme. Les activités des laïcs et du clergé, engagés dans l’action sociale sous la direction des évêques, ont freiné la détérioration du tissu social. Enfin, l’émergence d’un syndicalisme combatif a charpenté le front d’opposition au régime. Entre 1960 et 1980, la proportion de travailleurs employés dans le secteur industriel passa de 12,9 à 24,4 p. 100. Les grèves, déclenchées dans la zone industrielle de São Paulo à partir de 1976, montraient aussi que cette nouvelle classe ouvrière débordait les structures corporatives, héritées de la première période varguiste (1930-1945), qui paralysaient le mouvement syndical. Sous la direction du métallurgiste Luís Inácio da Silva, dit Lula, ces grèves touchèrent trois millions de travailleurs en 1979. Fait sans précédent, le mouvement syndical s’organisa en milieu rural en dépit de la violence des grands propriétaires. À la fin des années 1970, le nombre de ruraux syndicalisés approchait le nombre des syndicalisés urbains. Cependant, les tueurs à gages ont continué à sévir et, dès la fin des années 1970, près de deux mille paysans, syndicalistes, prêtres, avocats et élus furent tués en Amazonie à la suite de conflits relatifs à la propriété des terres.La refonte des partisLes mouvements de contestation du régime s’ajoutaient au verdict populaire désavouant le gouvernement à l’occasion de chaque scrutin. Ces raisons amenèrent les militaires à amorcer une double manœuvre à partir de 1978. Une amnistie fut proclamée, permettant le retour des exilés et la libération des détenus politiques, l’habeas corpus fut rétabli et la censure de la presse supprimée. En outre, le système des partis fut une nouvelle fois modifié. Devenu dangereux pour le régime, le bipartisme fut éliminé et de nouveaux partis virent le jour. Le Parti démocrate et social (P.D.S.) parvint, pendant un temps, à réunir les élus gouvernementaux. L’opposition, quant à elle, se regroupa dans trois partis: le Parti de mobilisation démocratique brésilien (P.M.D.B.), continuateur du M.D.B.; le Parti démocrate et travailliste (P.D.T.), héritier du courant travailliste de Vargas et Goulart; enfin, le fait nouveau fut l’apparition du Parti des travailleurs (P.T.), réunissant des syndicalistes, des intellectuels et des laïcs proches des mouvements sociaux mis sur pied par l’Église.En 1982, pour la première fois depuis 1965, les gouverneurs d’État sont élus au suffrage direct. Une nouvelle fois le régime reste minoritaire dans le pays. Le P.M.D.B. gagnant neuf postes de gouverneur et le P.D.T. un, l’opposition contrôle dès lors les États les plus importants, dont ceux de Rio de Janeiro et de São Paulo, l’État-locomotive de la fédération.La fin de la dictatureSous la présidence du général Figueiredo (1979-1985), le régime dictatorial se désagrégea.La défaite électorale de 1982 sonnait le glas du processus visant à institutionnaliser le régime par la voie d’élections contrôlées. Allant à l’encontre des amendements édictés par les militaires, lesquels disposaient que le président de la République devait être élu par un collège électoral restreint, Ulysses Guimarães, président du P.M.D.B., lança au début de 1984 une campagne nationale pour l’élection au suffrage direct du nouveau chef de l’État. Relayée par des mouvements de masse, cette campagne prit de l’ampleur à la suite de meetings rassemblant des millions de personnes à São Paulo et à Rio de Janeiro. Devant l’impossibilité de modifier la Constitution octroyée par les militaires, l’opposition se résigna à présenter le nom de Tancredo Neves comme candidat à l’élection indirecte à la présidence.Atteint par la récession économique commencée en 1980, isolé au sein de la presse et de l’opinion publique, le régime militaire était alors en déclin. Une fraction du P.D.S., le parti gouvernemental, rompit avec les généraux et fonda le Parti du front libéral (P.F.L.). Aussitôt, une coalition se forma entre le P.M.D.B. et le P.F.L. pour présenter Tancredo Neves et José Sarney, transfuge du P.D.S., respectivement aux postes de président et vice-président. Le 15 janvier 1985, les candidats de l’opposition l’emportèrent sur ceux du régime militaire lors du scrutin effectué par un collège électoral restreint rassemblé à Brasília. Deux mois après, le jour même de la passation des pouvoirs, Tancredo Neves entra dans une longue agonie qui le conduisit à la mort. Conformément aux dispositions de la Constitution, José Sarney est proclamé président de la République.Du gouvernement démocratique à la consolidation de la démocratieL’administration Sarney: hésitations et gabegie étatiqueÀ l’inverse de Tancredo Neves, connu par son opposition à la dictature, Sarney sortait du sérail du régime militaire et ne disposait que d’une «légitimité provisoire», selon l’expression des commentateurs politiques.Les élections municipales de 1985, plaçant pour la première fois depuis 1965 des maires élus dans les capitales des États, accentuèrent les tiraillements entre le P.M.D.B. et le P.F.L. Cherchant à s’investir d’une nouvelle légitimité, le président Sarney annonça en février 1986 le «plan cruzado». Inspiré des plans anti-inflationnistes mis en œuvre en Israël et en Argentine, ce plan fut édicté par des décrets présidentiels, sans consultation du Congrès, des partis ou des syndicats. Après un succès initial dû à l’arrêt provisoire de l’inflation, le plan cruzado, prolongé au-delà des délais prévus, échoua. Il est vrai que les élections de novembre 1986 – renouvelant les gouverneurs, le Congrès et formant l’Assemblée constituante chargée de rédiger la nouvelle charte – poussaient le président Sarney à prolonger artificiellement le gel des prix, afin de favoriser la victoire des partis gouvernementaux. Allié du président, le P.M.D.B. fut le principal vainqueur de ces élections puisqu’il obtint la majorité des sièges au Congrès et vingt-deux des vingt-trois postes de gouverneur à pourvoir. Cependant, envahi par des transfuges de la droite, le P.M.D.B. se divisa en courants antagonistes pendant les séances de l’Assemblée constituante. À la veille des élections municipales de novembre 1988, les courants réformistes favorables à l’instauration du semi-présidentialisme firent sécession et fondèrent le Parti social-démocrate brésilien (P.S.D.B.). À l’issue de ce dernier scrutin, la carte électorale changea. Le P.M.D.B. resta le premier parti politique du pays, mais il perdit beaucoup de mairies. S’emparant de villes importantes, et surtout de São Paulo, le P.T. apparut comme le deuxième parti brésilien.Inflation et crise de l’ÉtatPris en tenailles entre la dette extérieure et le déficit public, le gouvernement Sarney sombra dans l’inertie. Malgré le plan Bresser (juin 1987), le «plan d’été» (janv. 1989), la création d’une nouvelle monnaie – le nouveau cruzado – et des gels successifs de prix, l’administration Sarney (1985-1990) ne parvint pas à contrôler l’inflation ou à promouvoir la relance économique. Soucieux d’obtenir de l’Assemblée constituante la prolongation, pour une année supplémentaire, de son mandat, le président Sarney – dont la réputation restait toujours entachée par sa compromission avec le régime militaire – s’engagea dans un trafic d’influence et accentua la désorganisation administrative du pays.La Constitution d’octobre 1988Les élections de 1986, destinées à former l’Assemblée nationale constituante, avaient eu une signification ambiguë. En apparence, c’était le P.M.D.B., fer de lance du front électoral contre la dictature, qui détenait la majorité des sièges de la Constituante. Néanmoins, une analyse des précédents mandats des élus montrait que 217 des 559 députés et sénateurs constituants avaient été membres de l’Arena, le parti de la dictature avant 1980. La mobilisation des syndicats, des associations professionnelles, des minorités a cependant amené les constituants à tenir compte des aspirations démocratiques affirmées à l’occasion des scrutins tolérés par le régime militaire. Le pays fut ainsi doté en octobre 1988 d’une charte avancée dans le chapitre des droits sociaux et des libertés publiques. L’environnement et les droits des minorités sont mieux protégés. Sur le plan administratif, le fédéralisme se trouve renforcé par l’accroissement des recettes fiscales des États et des municipes, au détriment d’impôts et de taxes auparavant collectés par l’Union.Pourtant, la mise en application des dispositifs constitutionnels est en partie freinée par l’ajournement des lois complémentaires qui doivent être votées par le Congrès, par les assemblées des États et des municipes. Ainsi, voué à protéger les mineurs de la violence policière et de l’exploitation patronale, le Code de l’enfant et de l’adolescent n’était en vigueur, trois ans après avoir été instauré par la Constitution, que dans le cinquième des municipes et dans la moitié des États de la fédération.L’élection présidentielle de 1989: l’administration CollorPratiquement inconnu du reste du pays au début de la campagne présidentielle, Fernando Collor de Mello, jusqu’alors gouverneur du petit État de Alagoas, dans le Nord-Est, est parvenu, à la tête d’un parti qu’il créa pour la circonstance, le Parti de la reconstruction nationale (P.R.N.), à remporter la victoire au second tour de l’élection présidentielle de décembre 1989 en obtenant 35 millions de voix (53 p. 100 des suffrages validés), face à son concurrent, Lula, leader du P.T. et opposant déterminé du régime autoritaire. En dépit de son passé dans les rangs du parti qui soutenait les militaires, le candidat du P.R.N. réussit à se présenter comme le candidat du renouveau national.La dernière élection présidentielle directe à laquelle les Brésiliens avaient participé, élection à un seul tour, remontait à l’année 1960. Entre-temps, la nation s’est profondément modifiée, en proie à la dictature, à l’urbanisation, à l’industrialisation, à la croissance démographique, aux inégalités sociales et régionales. Dans ce contexte, le scrutin à deux tours en novembre et décembre 1989 se présentait comme un événement politique. Au mois de mars 1990, Collor accède à la présidence et, dès le lendemain, prend des mesures radicales dans le domaine économique.Les débuts du nouveau gouvernement: le plan CollorÀ l’instar des plans économiques mis en œuvre par le gouvernement Sarney, le plan Collor cherchait à briser la spirale des prix qui désorganisait l’économie depuis le début des années 1980. Près de 60 milliards de dollars en dépôts bancaires et actifs financiers furent temporairement confisqués par le gouvernement. Néanmoins, par des expédients divers, la majorité des grands détenteurs d’avoirs financiers – des grandes entreprises aux particuliers fortunés – réussirent, au bout de six mois, à reprendre possession d’une partie de ces actifs. Un moment estompée, la hausse des prix a repris son rythme, tandis que les limitations au crédit bancaire plongeaient le pays dans une profonde récession économique. Ainsi, pour la première fois depuis 1984, le produit intérieur brut déclina (face=F0019 漣 3,8 p. 100 en 1990).Sachant dès le début de son mandat que son parti, le P.R.N., était un groupement politique artificiel, sans implantation dans le Congrès et dans les États de la fédération, le président Collor multiplia les coups d’éclat destinés à frapper l’opinion publique. Annoncés à grand bruit, les plans d’arrêt de l’inflation, de réforme administrative, de reprise économique n’ont pas abouti. Dans ce contexte, les artifices médiatiques du président – pratique dominicale de sports spectaculaires, voyages suivis à l’étranger ou au milieu de la forêt amazonienne, appels aux descamisados , le peuple en haillons qui est censé soutenir l’action présidentielle – se révèlent inefficaces. La récession économique amplifie la crise sociale. Le retour d’épidémies que l’on croyait éteintes, comme le choléra, la fièvre jaune, la malaria, souligne les mauvaises conditions sanitaires de la population. Dans les grandes villes, la criminalité augmente. Un demi-million de vigiles privés, le double des effectifs de l’armée, sont engagés par des entreprises et des particuliers pour assurer la sécurité des biens et des personnes aisées. Agissant à la limite de la légalité, ces vigiles deviennent à leur tour des délinquants, et ils figurent parmi les responsables des nombreux assassinats d’enfants pauvres enregistrés dans tout le pays. Régulièrement dénoncés par une presse indépendante et courageuse, ces problèmes économiques et sociaux ont fait baisser la cote de popularité du président Collor, dont l’entourage était déjà compromis par de graves accusations d’amateurisme et de corruption.Peu préparés à la stratégie d’alliances inhérente au scrutin à deux tours et abasourdis par la défaite devant le candidat du P.R.N., le P.T. et Lula ont perdu du terrain après l’élection de décembre 1989. L’absence d’opposition organisée au niveau national n’a d’ailleurs pas été étrangère au «présidentialisme impérial», peu respectueux du Congrès et du pouvoir judiciaire mis en pratique par Fernando Collor. Les élections d’octobre-novembre 1990, destinées à renouveler le Congrès et les gouverneurs des États, se sont soldées par un échec pour le président et ses alliés. Dans les États les plus importants, São Paulo, Rio de Janeiro, Minas Gerais, Paraná et Rio Grande do Sul, les candidats appuyés par le président ont été battus. Déjà, Leonel Brizola, gouverneur élu de Rio de Janeiro, se présente comme candidat à la succession présidentielle.En avril 1992, faisant suite à une série de malversations et de scandales touchant des membres du gouvernement et même la famille du président, Fernando Collor procède à un important remaniement ministériel. Écartant les auxiliaires issus de l’équipe hétéroclite qui l’avait porté à la présidence, Fernando Collor confie les principaux postes de l’administration fédérale à des politiciens chevronnés, appartenant, pour la plupart, à l’ancienne Arena et au P.F.L. Le 24 août, trois semaines après la démission du ministre de l’Éducation nationale, la commission parlementaire d’enquête publie un rapport démontrant l’existence d’un vaste réseau destiné à recycler des fonds secrets au bénéfice du chef de l’État et de son entourage. Le 29 septembre, l’Assemblée nationale vote la destitution du président Collor, qui sera jugé par le Sénat.La politique extérieure: libéralisation économique et intégration régionaleAprès des conflits suivis entre le gouvernement et les créanciers internationaux, aussi bien pendant la période du président Sarney que durant la première phase de l’administration Collor, la question de la dette extérieure a fait l’objet de négociations régulières dans le cadre du Fonds monétaire international. Engagé dans une politique de privatisations des entreprises appartenant au secteur public, l’actuel gouvernement entend aussi promouvoir la levée progressive des barrières douanières qui protégeaient l’industrie nationale de la concurrence étrangère.Dès 1985, les nouveaux gouvernements démocratiques de l’Argentine et du Brésil amorcent l’intégration économique entre les deux pays. Rejoints ensuite par le Paraguay et l’Uruguay, ces quatre pays du Cône sud signent en mars 1991 à Asunción, capitale du Paraguay, les traités de fondation du Marché commun du Sud, Mercosul. Selon ces textes, le libre-échange de marchandises et de services devra être instauré dès 1995 dans la région, rassemblant, dans un seul et unique marché, 190 millions d’habitants et un produit intérieur brut global de 456 milliards de dollars. Des conversations se poursuivent entre les quatre signataires et le gouvernement de Santiago, en vue de l’adhésion prochaine du Chili au Mercosul. L’accroissement des échanges entre les pays d’Amérique latine doit permettre le relèvement du commerce interrégional. De fait, en 1950, le pourcentage de l’Amérique latine dans le commerce international était de 12 p. 100, alors qu’en 1990 ce pourcentage est tombé à 6 p. 100. Dans le nouveau cadre d’entités supranationales qui caractérise les échanges internationaux, la création du Marché commun du Sud se présente comme une réponse des pays du Cône sud de l’Amérique latine au projet de la zone de libre commerce de l’Amérique du Nord, unissant le Canada, les États-Unis et le Mexique.
Encyclopédie Universelle. 2012.